Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole Militaire

Benoît, qui êtes-vous ? Racontez-nous votre parcours…

J’ai fait le choix dans ma carrière d’alterner recherche en sciences humaines et sociales (SHS) – je suis historien habilité à diriger les recherches (doctorat à l’EHESS, Habilitation à diriger des recherches à l’INALCO) – avec des postes plus opérationnels (policy making).

Fonctionnaire du ministère des Armées, j’ai exercé des responsabilités variées, sans pour autant renoncer à la spécificité de mon travail de chercheur sur le Viêt Nam et les questions stratégiques en Asie du Sud-Est. Cela n’a parfois pas toujours été facile car le mélange des genres n’est pas toujours bien compris. Mais ce qui a guidé mon parcours est d’abord lié à ma passion de l’Asie.

Réfléchir, écrire, enseigner et analyser les grands enjeux de l’Asie contemporaine m’ont conduit, dans un premier temps, à apprendre le vietnamien (comment comprendre un pays différent, une culture éloignée sans passer par sa langue… ?) et surtout, à vivre en Asie durant plusieurs années.

Après mon service militaire et un séjour doctoral de quatre ans à l’antenne de Hanoi, au Viêt Nam, de l’Ecole française d’Extrême-Orient (EFEO), j’ai eu l’occasion d’occuper un poste d’Attaché d’ambassade à Tokyo pendant trois ans. Durant les quatre années suivantes, j’ai dirigé l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine (IRASEC), un institut basé à Bangkok et placé sous la double tutelle du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et du CNRS et dont plusieurs chercheurs sont localisés dans différents pays de la région.

Au cours de mes affectations, j’ai toujours eu le souhait d’observer la manière dont le savoir universitaire peut être utilisé dans le processus de décision étatique. J’ai également fait en sorte de lutter contre un cloisonnement des savoirs (expertise administrative versus savoir universitaire) qui peut être contre-productif, en particulier si l’on veut prétendre à mieux comprendre les mondes avec lesquels nous souhaitons dialoguer, échanger ou commercer. Si je me sens profondément attaché à mon métier de chercheur, c’est aussi parce que j’assume pleinement ce besoin d’aller-retour entre une réflexion académique et l’idée de mettre parfois « les mains dans le cambouis ».

Selon moi, un chercheur est au cœur de la société et ne doit pas s’enfermer derrière les murs de son université ou dans sa communauté (i.e. les collègues enseignants-chercheurs et les étudiants). Je me sens donc parfaitement à l’aise à l’IRSEM, à la croisée des mondes académiques et institutionnels, mais aussi au Centre Asie du Sud-Est de l’EHESS (UMR CNRS).

Quels sont vos axes de recherche actuellement ?
Où peut-on vous lire ?

Je m’intéresse à l’histoire politique du régime communiste vietnamien, des origines dans les années 1940 à nos jours. Cet attrait pour les multiples facettes d’un système politique autoritaire d’Asie du Sud-Est m’a conduit à suivre de près le devenir du « communisme asiatique » et de manière plus concrète, les complexes relations entre la Chine et le Viêt Nam depuis un siècle. Par extension, et cela notamment depuis mon arrivée à l’IRSEM en 2014, mon travail scrute de très près tout ce qui concerne l’évolution de la conflictualité et de la géopolitique en Asie du Sud-Est, notamment autour de la mer de Chine méridionale mais aussi dans le reste de la zone. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je travaille régulièrement avec une géographe de l’université Paris-Diderot, la maître de conférences Nathalie Fau, sur la dimension profondément spatiale et historique des liens entre les Etats de cette région.

De fait, j’écris essentiellement sur le Viêt Nam et sur les enjeux maritimes de ce pays en Asie du Sud-Est. En 2018, j’ai publié plusieurs travaux, seul ou en collectif, sur ces thématiques, et notamment deux livres, Histoire du Viêt Nam de la colonisation à nos jours (Editions de la Sorbonne, 2018, 295 pages) et Mers d’Asie du Sud-Est. Coopérations, intégration et sécurité ((avec N. Fau) chez CNRS Editions (2018, 394 pages)).

J’ai également dirigé l’année dernière un numéro spécial de la Revue Défense Nationale avec Céline Pajon (IFRI) intitulé « L’Asie stratégique de l’Inde au Pacifique » (Eté 2018, juillet-août-septembre, 190 pages) et, avec Eric Frécon (Asia Centre), un numéro de la revue Monde chinois, nouvelle Asie consacré à « La Chine et l’Asie du Sud-Est, vers un nouvel ordre régional ? » (n°54-55, Automne 2018, 148 pages).

Pourquoi avoir choisi la « recherche » ?
Comment percevez-vous votre rôle de chercheur ?

J’ai toujours été un passionné d’Asie, d’histoire et de géopolitique. Mais je pense avant tout que j’ai toujours aimé les livres. Fabriquer un livre, seul ou en collectif, est un plaisir sans cesse renouvelé dans mon travail de chercheur. J’aime notamment la dimension de partage inhérente à la construction de l’objet du livre. Dans une autre vie, je crois que j’aurais apprécié être éditeur.

Enseigner, publier, s’exprimer dans les médias constituent, pour le chercheur, des temps privilégiés pour partager un savoir particulier avec des publics différents les uns des autres, parfois constitués de décideurs ou de personnes intéressées. À ce niveau, on ne peut que déplorer en France le fait que l’Asie intéresse parfois davantage pour son exotisme que pour la contemporanéité de ses enjeux.

Enfin, dans le cadre de mes fonctions de directeur du domaine Questions régionales Sud à l’IRSEM, il y a aussi une responsabilité de direction d’équipe (des chercheurs sur l’Asie, mais également sur le monde arabe et les pays d’Afrique). Je trouve également un grand plaisir à diriger des thèses de doctorat sur le Viêt Nam (à l’INALCO) ou à enseigner la géopolitique de l’Asie dans le cadre du magistère MRIAE de l’Université Paris 1-Panthéon Sorbonne.

Mon ambition est de poursuivre la diversité de ces tâches tout en restant le plus souvent possible en contact avec le terrain sud-est asiatique.

Faire des recherches sur l’Asie n’est pas seulement une affaire livresque, c’est d’abord une rencontre avec des peuples, des hommes et des femmes originaires d’une Asie naturellement très hétérogène, leur façon de vivre le monde et d’en rêver ses transformations.