La posture officielle du gouvernement japonais, conciliant depuis des décennies le parapluie nucléaire américain et une diplomatie en faveur de l’abolition ultime des armes nucléaires, s’est toujours accompagnée de déclarations dissonantes émanant de hauts responsables politiques. L’ancien Premier ministre Abe est l’un d’eux, voulant que la constitution nippone n’interdise pas la possession d’armes nucléaires défensives, tandis que divers membres de son entourage ont déjà revendiqué la nécessité pour le Japon de poursuivre une stratégie du seuil nucléaire. De nombreux observateurs et analystes ont abondé dans ce sens, notamment en raison de deux politiques poursuivies par Tōkyō et jugées ambiguës du fait de leur dualité : le maintien d’un programme d’extraction de plutonium à partir de combustible usé, et un programme spatial dynamique, affirmant de plus en plus le rôle de l’espace extra-atmosphérique dans la sécurité nationale. Repenser les notions de seuil et de capacités nucléaires latentes telles qu’appliquées au Japon permet de montrer que la latence du Japon est cultivée et utilisée par Tōkyō comme un levier diplomatique à l’échelle régionale, qui vise à limiter l’agressivité de la Chine et de la Corée du Nord à son égard, et un levier politique vis-à-vis de son allié américain, pour pousser Washington à affermir davantage ses garanties de sécurité, à travers la même menace implicite d’une prolifération nucléaire rapide, en cas de rupture brutale du statu quo. Cette réévaluation de la politique nucléaire du Japon permet, sur le plan politique, d’étudier les divergences entre le gouvernement japonais et une partie de sa population favorable à l’abolitionnisme nucléaire. Sur le plan conceptuel, elle conduit à remettre en cause et à repenser les concepts centraux de seuil et de latence, pour les adapter aux enjeux contemporains de non-prolifération, voire de contre-prolifération. Enfin, sur le plan géopolitique, elle permet de comprendre, à travers l’exemple singulier du Japon, les conséquences de la montée en puissance militaire de la Chine et de l’échec de la résolution de la crise nord-coréenne sur la stabilité non seulement est-asiatique, mais aussi mondiale, en tant que ces deux phénomènes fragilisent le régime de non-prolifération instauré par le TNP il y a cinquante-trois ans.