Etude de l'IRSEM n°109 - 2023

Les logiques du chaos – Révolution, guerre et transition politique au Soudan

24
Jul

Le violent conflit qui a éclaté au Soudan en avril 2023 entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (RSF – Rapid Support Forces), une unité paramilitaire, constitue l’acmé d’une crise politique multidimensionnelle qui s’est ouverte avec le soulèvement populaire de 2019. Comprendre les dynamiques de cette compétition pour le pouvoir nécessite de se pencher sur des processus historiques de plus ou moins longue durée : les reconfigurations du pouvoir ouvertes par la chute d’Omar al-Beshir ; les pratiques de contre-insurrection mises en œuvre durant les guerres civiles ; l’imbrication d’intérêts politiques, sécuritaires et économiques des forces armées ; et enfin la concentration du pouvoir dans le « centre » du pays qui a nourri des formes de marginalisation dans les régions. La révolution soudanaise a ouvert une période de changements en mettant fin, officiellement, à la République islamique et au pouvoir du parti hégémonique, le National Congress Party. De manière schématique, cinq séquences se dégagent qui illustrent des rapports de force changeants entre différents groupes sur lesquels nous reviendrons. La première est celle de la confrontation multiforme entre les protestataires et le régime soudanais et se termine par l’établissement d’un sit-in devant le quartier général de l’armée et le coup d’État qui écarte Omar al-Bashir de la tête de l’État soudanais, le 11 avril 2019. La deuxième séquence est marquée par une compétition intense entre le Conseil de transition militaire et les forces révolutionnaires essentiellement regroupées au sein des Forces de la liberté et du changement (FFC – Forces of Freedom and Change) qui culminera dans le massacre du 3 juin et la marche du million du 30 juin. Cette séquence se clôt par la signature du document constitutionnel qui organise la distribution des pouvoirs. La troisième séquence est celle de la tentative d’établir un gouvernement civil de transition qui inclut, à la suite du Juba Peace Agreement, certains groupes rebelles du Darfour et du Nil Bleu malgré les résistances des Forces armées soudanaises (SAF – Sudan Armed Forces) et des RSF. La quatrième période débute avec le coup d’État du 25 octobre 2022. Celui-ci est rapidement contesté et relance une phase de mobilisation et de confrontation intense. Finalement, la cinquième s’ouvre en avril 2023 avec le déclenchement d’affrontements armés de grande ampleur entre les SAF et les RSF. L’étincelle de cette violence se trouve de prime abord dans le refus des acteurs armés d’un transfert de pouvoir aux civils et autour de la question de la réforme du secteur de la sécurité. Néanmoins, le conflit prend sa source dans une plus longue durée et dans les transformations induites par le changement politique rapide de ces dernières années. Comprendre la violence qui s’est déclenchée depuis le 15 avril exige de revenir sur les défis et échecs de la transition, notamment quant à la représentation des périphéries, de montrer que ce conflit tire son origine des pratiques de gouvernance et de contre-insurrection héritées du régime du National Congress Party (1989-2019) et enfin qu’il dépasse une simple compétition entre généraux rivaux. L’ambition de cette étude est de replacer les différents protagonistes de la guerre et de la transition dans les logiques sociales, politiques et économiques propres à ce pays charnière entre différents espaces des mondes arabes et africains. Les soubresauts et la violence de la transition soudanaise ne sont compréhensibles qu’en faisant dialoguer trois processus : celui du changement politique issu du soulèvement populaire, la recomposition des acteurs de l’ancien régime et les dynamiques des guerres civiles soudanaises. Ces processus ont provoqué différents effets que cette étude détaillera : la compétition pour le contrôle de l’État, l’irruption de nouveaux acteurs issus des périphéries et la militarisation progressive de la transition.

 

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