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L’exploitation des ressources minières des grands fonds marins internationaux dans le Pacifique : Le rêve de Nauru, de la Chine… et des États-Unis

Carine Pina et Nolwenn Gueguen

Une demande de contrat d’exploitation des ressources minières des fonds marins situés au-delà des limites de la juridiction nationale (la Zone), en particulier dans le Pacifique, devrait être déposée devant l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) en juillet prochain, ouvrant potentiellement une période de compétition pour ces ressources jugées stratégiques aujourd’hui. Cette première est scrutée par les principaux acteurs du secteur (États et entreprises), notamment la Chine.

En juillet 2024, l’entreprise canadienne The Metal Company (TMC), parrainée par l’État insulaire de Nauru, devrait déposer auprès de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) une demande de contrat d’exploitation des ressources minières des fonds marins situés au-delà des limites de la juridiction nationale (la Zone – Art.1 Convention des Nations unies sur le droit de la mer [CNUDM dite Convention de Montego Bay-1982]), en particulier celles se trouvant dans le Pacifique. Cette demande d’exploitation des fonds marins constitue une première, qui peut potentiellement ouvrir une période de compétition pour l’exploitation de ces ressources, alors que le statu quo avait prévalu jusque-là et que de nombreux scientifiques et ONG appellent à la prudence les entreprises et les pays qui s'y emploient dans leurs eaux territoriales et/ou souhaiteraient les étendre à la Zone.

Les fonds marins des eaux internationales couvrent la moitié des sols océaniques et contiendraient les plus grandes quantités mondiales de minerais critiques. Ces minerais – cobalt, nickel, zinc, cuivre, lithium et manganèse – sont essentiels pour les technologies et les industries de la transition écologique ainsi que pour les applications aérospatiales et de défense. Par ailleurs, les réserves minières continentales sont déjà jugées insuffisantes pour combler les nouvelles demandes, attisant les convoitises pour les grands fonds marins. Ces derniers, déclarés patrimoine commun de l'humanité, sont régis par le régime international établi par  la CNUDM  et l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), créée en 1994. Par son intermédiaire, les États parties à la CNUDM peuvent y organiser et contrôler des activités, essentiellement d’exploration jusqu’à aujourd’hui.

Le dépôt du contrat d’exploitation par TMC au nom de Nauru en 2024 et sa mise en œuvre en 2025 seraient une première. Il est scruté par les principaux acteurs du secteur (États et entreprises), en particulier ceux du Pacifique. Ce projet de Nauru est ancien. En janvier 2011, Nauru Ocean Ressources Inc (NORI) est créée pour représenter les intérêts de l’île dans l’exploration minière en eaux profondes. En juillet 2011, NORI obtient un contrat d’exploration de l’AIFM, parrainée par le gouvernement de Nauru, marquant ainsi le début de ses activités dans la Zone de Clarion Clipperton (ZCC), une longue étendue de fonds marins riches en minéraux, entre le Mexique et Hawaï, devenue espace réservé et géré par l’AIFM depuis 1996. À partir de 2012, NORI collabore avec DeepGreen Metals, une entreprise canadienne spécialisée dans l’exploration des nodules polymétalliques, et réalise des études préliminaires et des campagnes de prospection dans les zones sous contrat. En mars 2021, DeepGreen Metals annonce sa fusion avec Sustainable Opportunities Acquisition Corporation (SOAC). La finalisation de la fusion aboutira en septembre 2021 à la création de TheMetals Company (TMC) dont NORI devient officiellement une filiale.

En juillet 2021, Nauru annonce son intention d’entamer l’exploitation minière en eaux profondes, en parrainant TMC. L’île déclenche, pour la première fois, un mécanisme obligeant l’AIFM à formaliser dans une période de deux ans (2023) un cadre réglementaire pour l’exploitation minière en accord avec ses États membres. Il était prévu que si aucun texte n’était établi dans ce délai, Nauru et TMC, pourraient entreprendre l’exploitation des fonds marins sans directives réglementaires. En 2023, les États membres de l’AIFM ne sont pas parvenus à s’entendre, en dépit d’avancées notoires sur le fond. En juillet 2023, TMC a annoncé sa volonté de soumettre une demande de contrat d’exploitation d’ici juillet 2024 et a proposé fin 2025 pour le début de ses activités. Cela laisse un répit additionnel de 2 ans à l’AIFM pour s’accorder sur un code de conduite, perspective peu probante au regard de la session de mars 2024, mais ouvre aussi de nouvelles opportunités pour les États et les entreprises minières qui engagent déjà des activités d’exploration dans la zone internationale, y compris celles du Pacifique, au premier rang desquelles les entreprises chinoises.

Si l’intérêt de la Chine pour l’exploration et l’exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins semble prendre une nouvelle envergure sous la présidence de Xi Jinping, il remonte aux années 1980 au cours desquelles Pékin a envoyé deux premiers navires scientifiques entreprendre des études dans le centre, le nord et le nord-est du Pacifique. Dès 1982, la Chine informe le président de la CNUDUM III, réunie de 1973 à 1982, qu’elle a dépensé 40 millions de US$ dans la recherche sur les nodules polymétalliques. L’Association chinoise sur la recherche et le développement des ressources minérales océaniques (COMRA), créée en 1990, est devenue depuis l’entreprise publique la plus importante dans le secteur. La Chine, en tant que signataire de la Convention de Montego Bay, est devenue un membre très actif de l’AIFM, notamment en disposant d’une mission permanente et de membres élus depuis 1996 au Conseil, l’organe de décision de l’institution. Elle a participé à l’élaboration des trois réglementations internationales sur l’exploration et l’exploitation des ressources minières en eaux profondes des nodules polymétalliques (2000, amendée en 2013), des sulfures polymétalliques (2010) et des croûtes riches en cobalt (2012). Elle contribue aujourd’hui aux négociations sur l’élaboration du Code d’exploitation qui devrait aboutir en 2025. Outre une place prépondérante dans les instances décisionnelles, la Chine est aussi le premier bailleur de l’AIFM avec une contribution évaluée en 2024 à 1 785 945,20 US$ sur un budget total de fonctionnement de 4 055 058,57 US$.

En 2019, Pékin a créé avec l’organisation un centre de formation et de recherche, hébergé par le Centre national chinois sur la mer profonde à Qingdao dont l’objectif est le renforcement des compétences et le transfert de technologies maritimes aux pays en voie de développement. La Chine est enfin le premier pays bénéficiaire des licences d’exploration minière en eaux profondes octroyées par l’AIFM dans les zones réservées. Elle totalise cinq licences d’exploration dont trois pour la COMRA, une pour la China Minmetals Corporation et une pour la Beijing Pioneer Hi Tech Development Corporation. Les sites se situent dans les eaux internationales du Pacifique, au nord-ouest et dans la Zone de Clarion Clipperton. Membre actif de la principale organisation de gestion de ces ressources, État pionnier et avancé dans l’exploration et la maîtrise des technologies requises, la Chine est de fait très bien placée pour l’obtention des contrats potentiels d’exploitation future, avec ou sans code de conduite. Pékin participe très activement aux négociations sur l’adoption du code minier attendu d’ici 2025 et agirait pour contrer toutes demandes extérieures en vue de bannir les exploitations ainsi que pour appuyer les demandes des États insulaires de la région afin d’accélérer la mise en œuvre des activités d’exploitation des ressources minérales des grands fonds marins.

La position chinoise est d’autant plus privilégiée dans le secteur et dans la principale aire géographique d’exploration et d’exploitation potentielle du Pacifique, que sa présence diplomatique, économique et stratégique s’y est accrue ces deux dernières décennies. Plus encore, cette situation de la Chine s’explique par le fait que son principal rival, les États-Unis, n’est pas membre de la Convention de Montego Bay et donc de l’AIFM. Washington n’a donc pas voix au chapitre dans l’élaboration des futures normes internationales dans ce domaine. Cela semble poser aujourd’hui problème à l’administration américaine à la fois en raison de la compétition globale avec la Chine, mais aussi de la pression exercée par les grandes entreprises américaines du secteur. En mars 2024, une proposition de législation sur le développement et le financement des activités minières en eaux profondes à l’intérieur des États-Unis a été présentée auprès du Congrès. La possibilité que les États-Unis ratifient la Convention de Montego Bay pour siéger à l’AIFM est également évoquée, et l’administration Biden se manifesterait dans cette optique dès juillet 2024, date de la prochaine réunion de l’AIFM.

 

Carine Pina est chercheuse Chine/Monde chinois à l’IRSEM.

Nolwenn Gueguen est assistante de recherche à l’IRSEM.

Contact : carine.pina@irsem.fr