Télécharger la brève stratégique n° 58 - 2023
Élargissement de l’OTAN : quelles modalités ?
Amélie Zima
La procédure d’adhésion à l’OTAN, entièrement redéfinie dans les années 1990, suppose pour le pays candidat de respecter des critères politiques, militaires et économiques ainsi que de se soumettre à une évaluation régulière avant de pouvoir rejoindre l’Alliance. Alors que ce processus dure généralement plusieurs années, en quelques mois, deux pays candidats, la Suède et la Finlande, ont quasiment franchi toutes les étapes. Cette brève expose l’évolution des procédures et les démarches à accomplir pour qu’un État devienne membre de l’OTAN.
Au printemps 2022, deux pays neutres, la Suède et la Finlande, ont demandé leur adhésion à l’Alliance atlantique. Ces États sont membres de l’Union européenne (UE), qui dispose d’une clause de sécurité commune, l’article 42.7 du Traité sur le fonctionnement de l’UE. Cependant, la dégradation de l’environnement de sécurité européen consécutive à l’invasion de l’Ukraine en février 2022, qui constitue une violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, les conduit à vouloir renforcer leur protection et leurs garanties de sécurité en rejoignant l’organisation qui assure le maintien du lien transatlantique : l’OTAN.
Depuis sa fondation en 1949, l’OTAN a connu plusieurs vagues d’élargissement. De douze membres fondateurs, elle en compte désormais trente en s’étendant vers certains pays méditerranéens, l’Europe centrale et orientale puis les Balkans.
La politique dite de « la porte ouverte » est inscrite dans l’article 10 du traité fondateur de l’OTAN, le traité de l’Atlantique nord : « Les parties peuvent, par accord unanime, inviter à accéder au traité tout autre État européen susceptible de favoriser le développement des principes du présent Traité et de contribuer à la sécurité de l’Atlantique nord ».
Pour un pays candidat, devenir membre de l’OTAN signifie être protégé par la garantie de sécurité de l’article 5 mais aussi par le parapluie nucléaire (trois États membres possèdent la bombe nucléaire, États-Unis, France et Royaume-Uni mais avec des usages différents).
L’ensemble de ces élargissements n’a pas répondu aux mêmes critères. Durant la guerre froide, les adhésions répondaient largement à des critères stratégiques et la question du respect des valeurs démocratiques et libérales était passée au second plan. Deux pays clés pour l’accès à la Méditerranée mais indiscutablement autoritaires ont ainsi rejoint l’OTAN dès ses débuts : le Portugal de Salazar (alors régime autoritaire conservateur) était membre fondateur ; et la Turquie (alors dictature militaire), qui contrôle les détroits du Bosphore et des Dardanelles, a pu rejoindre l’Alliance en 1952.
Cette politique a radicalement changé à la suite de l’effondrement de l’URSS et de l’émergence d’un débat sur les possibles candidatures des pays d’Europe centrale et orientale. En effet, ces États se retrouvent alors dans une situation de vide stratégique et cherchent à obtenir des garanties de sécurité tout en souhaitant rejoindre la communauté euro-atlantique symbolisée par l’OTAN et l’UE. L’Alliance institutionnalise des critères qui se matérialisent dans l’Étude sur l’élargissement de l’OTAN (ci-après « l’Étude ») et un outil de pré-adhésion, le Plan d’action pour l’adhésion (Membership Action Plan ou MAP). Soulignons que la révision des procédures d’adhésion au cours des années 1990 n’est pas spécifique à l’OTAN. L’UE, en formulant les critères de Copenhague en 1993, réalise la même démarche : opérer des innovations institutionnelles qui rendront les futures candidatures plus ardues.
Le but de ces documents est de poser les bases normatives et juridiques de l’Alliance. L’Étude, publiée en septembre 1995, énonce des critères tout autant politiques que militaires. Ainsi, les futurs membres doivent respecter les valeurs libérales et démocratiques, ne pas importer de conflit au sein de l’OTAN, s’engager à effectuer des missions hors zone, rendre leurs forces armées interopérables et respecter la clause de défense commune, l’article 5. L’élargissement doit être conforme à la Charte des Nations unies et aux documents de l’OSCE.
Pour l’OTAN et ses États membres, l’objectif de l’Étude est double. Il s’agit d’une part de réaffirmer les idéaux fondateurs de l’organisation et d’autre part, de créer un consensus entre États membres sur les conditions qui doivent être remplies et respectées par tout nouveau membre. Ce faisant, les fondements politiques et normatifs de l’OTAN sont protégés ainsi que les intérêts des membres existants qui, pour des raisons politiques, financières ou militaires peuvent s’opposer à toute extension. En effet, certains membres pouvaient estimer que les pays candidats allaient être des consommateurs de sécurité ou que l’extension diluerait les compétences de l’OTAN. Enfin, ces critères excèdent largement la lettre du traité, tout en étant suffisamment larges pour que l’Alliance ait toute latitude de les interpréter, voire de refuser toute éventuelle candidature.
Le MAP a été créé en 1999. Il s’inspire et institutionnalise les expériences et le savoir-faire du premier élargissement post-guerre froide de l’OTAN, en 1999 vers la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. Le MAP reprend les idées majeures de l’OTAN : les pays candidats ne doivent pas avoir de conflits territoriaux, doivent avoir établi le contrôle civil et démocratique sur le militaire, respecter les libertés fondamentales, instaurer l’État de droit et disposer d’une économie de marché fonctionnelle. Lorsqu’un pays candidat est invité par l’OTAN à rejoindre le MAP, il s’engage à effectuer des réformes et à entrer dans un processus de planification, d’adaptation et d’évaluation pluriannuel dans les domaines politiques, économiques, juridiques, de défense et de sécurité. Ce processus peut durer de nombreuses années comme dans le cas de la Bosnie-Herzégovine qui a rejoint le programme en 2010 sans avoir intégré l’OTAN treize ans après. Enfin, si l’intégralité des pays ayant rejoint l’Alliance depuis 2004 a bénéficié du MAP, son octroi n’est pas synonyme d’adhésion.
Après la création du MAP, la politique d’élargissement de l’OTAN conserve un processus en plusieurs étapes. Dans un premier temps, le pays candidat émet le souhait de rejoindre l’Alliance. Des négociations au sein de l’OTAN avec les pays membres décident ou non de l’octroi du statut de pays candidat et de sa participation au MAP. Lorsque la préparation est jugée suffisante, étant donné qu’elle peut être complétée après l’adhésion, l’OTAN prépare un protocole d’accession au traité de Washington. Ces protocoles doivent être ratifiés à l’unanimité des États membres selon leurs procédures nationales (vote des deux tiers du Sénat aux États-Unis, vote du Parlement en France, pas de vote formel au Royaume-Uni, etc.). Une fois ces protocoles signés, le pays invité rejoint l’Alliance en ratifiant l’accord selon ses procédures nationales. Ainsi, des référendums peuvent être organisés, comme ce fut le cas en Hongrie en 1997 et en Macédoine du Nord en 2018. Une fois ces ratifications obtenues, les pays invités deviennent officiellement membres de l’OTAN.
La création du MAP démontre la capacité d’évolution et de transformation de l’organisation et institutionnalise la politique d’élargissement. Cela signifie aussi que l’OTAN entend poursuivre son expansion afin de réaliser son objectif de construction d’un espace euro-atlantique stable, pacifié et sécurisé.
Dans le cas de la Suède et de la Finlande, les procédures ont été accélérées. Alors que la préparation peut prendre plusieurs années, ces deux pays ont franchi les différentes étapes en quelques mois. En mai 2022, Stockholm et Helsinki ont présenté leurs lettres officielles de demande d’adhésion. En juin 2022, l’OTAN les a officiellement invités à adhérer et l’ensemble des pays membres, à l’exception de la Hongrie et de la Turquie, a ratifié leurs adhésions.
Cela s’explique principalement par le fait que la Suède et la Finlande respectent la majeure partie des critères politiques et militaires de l’OTAN. Les deux pays sont des États de droit démocratiques. Ils coopèrent avec l’OTAN depuis 1994 dans le cadre du Partenariat pour la paix. Cette coopération est approfondie depuis l’annexion illégale de la Crimée par la Russie en 2014. Leurs armées sont modernes et largement interopérables avec celles des pays membres de l’OTAN grâce à leur participation très active à des formations, exercices et opérations.
Stratégiquement parlant, leur entrée dans l’Alliance ferait de la Baltique une « mer OTAN » et renforcerait la sécurité des États baltes. Ceux-ci ne sont actuellement liés territorialement au reste de l’Alliance que par la trouée de Suwałki entre la Pologne et la Lituanie.
Enfin, ces demandes d’adhésion renforcent l’attractivité et la légitimité de l’OTAN qui apparaît comme la seule organisation multilatérale de sécurité garantissant la défense et l’intégrité territoriale des États européens.
Amélie Zima est docteure en science politique et chercheuse à l’IRSEM. Dernières publications : « La présence avancée renforcée de l'OTAN (eFP) dans les pays Baltes et en Pologne : apports et limites de la dissuasion conventionnelle multilatérale », Note de l'IRSEM n° 131, 12 octobre 2022 ; L'OTAN, Paris, PUF, Que Sais-je, 2021.
Contact : amelie.zima@irsem.fr