Tiphaine DE CHAMPCHESNEL | 04.05.2020
La dixième conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires qui devait se tenir du 27 avril au 22 mai 2020 a été reportée à une date ultérieure, non fixée à ce stade. Cette brève revient sur les enjeux de cette échéance, qui marque également le cinquantième anniversaire du traité.
La dixième conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui devait se tenir du 27 avril au 22 mai 2020 au siège des Nations unies à New York, a été reportée en raison de la pandémie de Covid-19. Par une lettre en date du 27 mars 2020, le président désigné, l’ambassadeur Gustavo Zlauvinen (Argentine), après avoir consulté les États parties, a en effet confirmé que la conférence serait décalée « à une date ultérieure, dès que les circonstances le permettraient, mais pas plus tard qu’en avril 2021 ». À ce stade, le créneau du 4 au 29 janvier a été proposé[1] pour cette réunion qui marquait également le cinquantième anniversaire de l’entrée en vigueur du traité et le vingt-cinquième de sa prorogation indéfinie.
Ce report de plusieurs mois, même s’il n’engendrera pas de conséquences majeures, représente un changement dont G. Zlauvinen voudrait faire « une opportunité ».
Nous allons revenir ici sur les enjeux de cette dixième conférence d’examen, en tenant compte de son inscription dans un nouveau calendrier.
Le TNP est un traité vivant. Les États parties se rencontrent de manière régulière grâce au processus qui prévoit des conférences quinquennales et des comités préparatoires au cours des trois années précédentes. L’objectif n’est pas de conduire à une renégociation du traité, contrairement à ce que certains commentateurs peuvent parfois écrire, mais d’examiner la mise en œuvre de ses dispositions. Concrètement, les États participants doivent parvenir à s’entendre sur un bilan et sur des recommandations adoptées par consensus à la fin des travaux. S’ils y parviennent, la conférence d’examen est considérée comme un succès. Dans le cas contraire, habituellement, participants et observateurs regrettent un échec, même si finalement le résultat ne dit rien de la teneur des discussions pendant ces quatre semaines.
L’idée que la réussite d’une conférence d’examen pourrait être mesurée à l’aune d’autres critères, faiblement soutenue jusqu’alors, devient à présent davantage audible. À l’approche de l’exercice 2020, il semblerait que les attentes soient devenues plus modestes que les années précédentes car chacun sait qu’un nouvel « échec », après celui de 2015, serait dommageable pour le TNP. Plusieurs experts ont plaidé pour que les États parties se tiennent prêts à développer un « plan B » au cours des travaux pour parvenir à un résultat substantiel et concret, même en l’absence de consensus. Il pourrait s’agir de résolutions ou de décisions séparées, d’engagements volontaires indépendants pris par des groupes d’États, ou d’une déclaration de haut niveau pour confirmer l’adhésion aux principes du TNP, comme le suggèrent deux experts américains.
Sur le fond, sur quels sujets les États devraient-ils s’accorder pour remplir les objectifs du TNP ? Comment s’explique cette difficulté à trouver un consensus ? Dans son rapport, le président du comité préparatoire de 2019, l’ambassadeur Syed Md Hasrin Syed Hussin (Malaisie) avait conclu que « les convergences de vues entre les États parties demeur[ai]ent bien plus nombreuses que les points de divergence ». Or, certains de ces derniers sont devenus structurels, en particulier depuis la prorogation du TNP en 1995, à laquelle les États du Moyen-Orient s’étaient finalement ralliés grâce à une résolution sur une zone exempte d’armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive (ADM). Les parties s’étant engagées à poursuivre les efforts afin d’établir une telle zone, les États de la région ont demandé que la résolution soit mise en œuvre concrètement. Les efforts diplomatiques en ce sens se sont intensifiés à partir de 2010. À la suite d’une décision de l’Assemblée générale de 2018 en vue d’élaborer « un traité juridiquement contraignant » instaurant cette zone exempte, une conférence annuelle a été mise en place. Sa deuxième session, prévue pour novembre prochain, ne se tiendra donc pas en amont mais en aval de la conférence d’examen du TNP. Ce qui aura nécessairement un impact sur le traitement de ce point important de l’ordre du jour.
Vient ensuite la question du désarmement nucléaire, qui a toujours représenté un sujet clivant au sein du processus d’examen. Le TNP, initialement conçu pour empêcher l’apparition de nouveaux détenteurs de l’arme nucléaire, opère une distinction entre les États ayant déjà réalisé un essai au moment des négociations, désignés comme États dotés (EDAN) et les États non dotés (ENDAN). Il necontraint en rien les premiers à éliminer leurs armes et à rejoindre la catégorie des seconds. Or, certains ENDAN, en particulier ceux du mouvement des non-alignés, refusent de voir perdurer une situation qu’ils décrivent comme discriminatoire. Aussi exercent-ils une pression sur les EDAN afin qu’ils éliminent leurs armes nucléaires à une échéance rapprochée. D’autres ENDAN, sans s’inscrire dans une telle perspective politique, considèrent aussi que les EDAN doivent prendre des mesures de désarmement, mais font la promotion d’une approche progressive, recherchant des résultats concrets. Dans l’ensemble, les EDAN s’efforcent de donner satisfaction et, pour certains, de faire preuve de davantage de transparence, mais pas au détriment de leur sécurité ni de celle de leurs alliés. Certains ont effectivement réduit leurs arsenaux, mais tous continuent de compter sur leur outil de dissuasion.
On devine alors comment la campagne qui a conduit à la conclusion du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) en 2017 a pu s’épanouir dans ce cadre et facilement gagner des soutiens. Elle se poursuit à différents niveaux, dans le but de délégitimer l’arme nucléaire et de stigmatiser ses possesseurs. Sur le plan juridique, elle recherche les cinquante ratifications nécessaires à l’entrée en vigueur du TIAN. Tout cela ajoute aux tensions habituelles avec un risque de polarisation des discussions au détriment du traitement de sujets concrets, tel que l’arrêt de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires, la transparence, la vérification ou encore la réduction des risques.
Enfin, la délitescence de l’architecture de maîtrise des armements accroît les attentes par rapport à la suite que les États-Unis et la Russie voudront bien donner au dernier vestige de cet édifice, le traité New START, qui doit expirer le 5 février 2021. Une absence de décision sur au moins une prorogation de l’existant enverrait un signal très négatif concernant le pilier désarmement et grèverait la crédibilité de l’initiative américaine sur la création d’un environnement pour le désarmement nucléaire. À ce stade, rien n’est acquis, et le doute aurait pu bénéficier à la conférence d’examen si elle s’était tenue en avril/mai. En janvier, la perspective semblera refermée si aucun accord n’a alors été trouvé.
Un des enjeux de la conférence d’examen sera également de permettre un traitement plus équilibré des trois piliers du TNP, l’accent porté sur le désarmement risquant, sur le long terme, de porter préjudice aux deux autres, non-prolifération et usages civils de l’énergie nucléaire. Même si ces dossiers sont traités par ailleurs, il est primordial que les États parties continuent de porter collectivement la norme de non-prolifération et de chercher à en renforcer la mise en œuvre, tout en permettant la coopération dans les applications civiles. Le renoncement de la Corée du Nord à son programme militaire ne sera pas négocié dans cette enceinte mais cet objectif doit y être rappelé par le plus grand nombre. De même, le soutien à l’accord de Vienne (Joint Comprehensive Plan of Action, 2015) doit être réaffirmé, en particulier dans le contexte du retrait américain. Enfin, le standard le plus abouti des garanties de l’Agence internationale de l’énergie atomique, la combinaison d’un accord de garanties généralisées et d’un protocole additionnel, n’étant toujours pas appliqué universellement, il reste crucial de le promouvoir.
Au-delà de ces dynamiques politiques et dossiers techniques, l’enjeu de cette dixième conférence d’examen est de confirmer la pertinence du traité pour éviter qu’à terme, certains États décident de s’en retirer et que cette norme appartienne au passé, comme c’est le cas aujourd’hui des traités de maîtrise des armements qui paraissaient acquis. Le TNP est un traité de non-prolifération qui reste nécessaire. Il a été conçu également en vue de la cessation de la course aux armements et la prévention de la guerre nucléaire. Ce sont deux objectifs qui semblent pouvoir être replacés à l’agenda.
La capitaine de frégate Tiphaine de Champchesnel est chercheuse sur les questions de dissuasion et de désarmement nucléaires à l’IRSEM.
Contact : Tiphaine.de-champchesnel@irsem.fr
[1] La conférence d’examen se tiendrait donc après l’élection présidentielle américaine, mais avant la mise en place de la nouvelle administration le cas échéant. Ce qui pourrait avoir une incidence sur la manière dont la délégation américaine abordera les travaux.