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Renforcer la coopération régionale en matière de sécurité environnementale  et climatique dans le sud-ouest de l’océan Indien

– des pistes à explorer

 

Nicolas Regaud

 

La présidence française de la Commission de l’océan Indien (COI) offre l’opportunité de porter des projets visant à mieux connecter la COI à son environnement indo-pacifique et à renforcer la coopération sous-régionale, notamment dans le domaine de la sécurité environnementale et climatique. Il est proposé d’examiner quatre pistes en ce sens.

 

Le cadre multilatéral de coopération est sans doute le plus efficient pour répondre aux atteintes portées à l’environnement ou aux conséquences du changement climatique. Qu’il s’agisse de la lutte contre la pollution marine, de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) et des trafics d’espèces protégées, ou de la réponse aux événements météo-climatiques extrêmes – tous risques et menaces qui affectent de façon croissante les pays membres de la Commission de l’océan Indien –, une action conjointe ou coordonnée pour combattre ces fléaux est plus susceptible d’obtenir des résultats que des actions conduites de façon séparée au niveau national, d’autant que de nombreux États disposent de ressources limitées.

Le Centre régional de fusion des informations maritimes (CRFIM) et le Centre régional de coordination des opérations (CRCO) – structures adossées à la COI – illustrent ce que la coopération peut apporter en matière de sécurité maritime dans le sud-ouest de l’océan Indien. Mais cela ne signifie pas pour autant que ces enceintes de coopération permettent de répondre à l’ensemble des risques et menaces en matière de sécurité environnementale et climatique auxquels fait face la région. Aussi convient-il de faire preuve de créativité, en examinant à la fois si la COI pourrait tirer avantage d’une participation à des enceintes de coopération existantes en Indo-Pacifique, et s’il convient d’imaginer la création de nouveaux cadres. La présidence française de la COI en 2021-22 offre une opportunité unique pour engager la Commission sur de nouveaux chemins.

La première piste susceptible d’être explorée concerne le Forum des garde-côtes d’Asie, HACGAM (Heads of Asian Coast Guards Agencies Meeting). Créé en 2004 à l’initiative des garde-côtes japonais, il rassemble aujourd’hui 22 pays d’Indo-Pacifique[1] (dont la France depuis décembre 2021) et un membre associé (l’Information Sharing Centrede ReCAAP).

Ce forum organise ses activités autour de deux réunions annuelles et de quatre groupes de travail relatifs à la lutte contre les activités illicites en mer, la protection de l’environnement, les secours en mer et le développement des capacités. Le forum monte en puissance, accroît progressivement le nombre de ses membres et organise chaque année des activités (ateliers, exercices, etc.) visant à favoriser les échanges d’expérience et les actions coordonnées en matière de lutte anti-pollution, de secours en mer ou de lutte contre les trafics notamment.

Alors que la participation à HACGAM est réservée aux pays d’Asie, selon la définition onusienne, le fait que l’Australie et la France en sont membres atteste que le forum est surtout sensible à ce que peut apporter un nouveau membre à la sécurité maritime dans l’espace Indo-Pacifique. Dans ce contexte, deux pistes de rapprochement pourraient être explorées : l’une visant à proposer que la COI – ou le CRFIM soutenu par la COI – devienne membre associé d’HACGAM, en tant qu’organisation en mesure de fournir une aide aux activités du forum, au même titre que l’ISC-ReCAAP. L’autre consisterait à ce que l’Agence européenne de sécurité maritime demande le même statut, l’AESM pouvant apporter une expertise et des capacités significatives, notamment en matière de lutte contre la pollution marine avec son système de surveillance CleanSeaNet.

La seconde piste concerne le Pacific Environmental Security Forum créé à l’initiative d’INDOPACOM en 2012, qui favorise la prise de conscience des enjeux de sécurité environnementale et climatique et les échanges d’informations et d’expériences entre les agences civiles, de défense et de sécurité dans la région indo-pacifique. Ce forum rassemble 25 pays de la région indo-pacifique – dont la France depuis 2019 – comprise comme l’espace géographique où INDOPACOM est compétent, excluant ainsi le Golfe et l’ouest de l’océan Indien. Le PESF est en cours de transformation pour devenir un Partenariat (PESP) et couvre un domaine extrêmement vaste, allant de la sécurité environnementale maritime à la lutte contre les trafics d’espèces protégées, la sécurité hydrique, la gestion des déchets, la lutte contre la pêche INN et la pollution.

La participation de la COI au PESF/PESP ferait naturellement sens, sous réserve qu’INDOPACOM accepte un membre appartenant à une région située hors de sa zone de responsabilité. Mais on peut penser que cela ne poserait pas de difficultés majeures, l’administration Biden ayant pris conscience de la nécessité de relancer un multilatéralisme inclusif en Indo-Pacifique (la Chine participe au PESF), notamment sur les questions environnementales et climatiques.

S’agissant d’initiatives nouvelles en matière de coopération régionale, une première piste s’inspire de l’initiative australienne de création du Pacific Fusion Centre (PFC), adossé au Forum des Îles du Pacifique. Dans une précédente brève stratégique, nous avions évoqué l’idée d’une éventuelle transposition du PFC dans l’océan Indien. Le concept de base du PFC consiste à recueillir, analyser, fusionner et partager des informations et des analyses pertinentes pour lutter contre les risques et menaces communs à la région : le changement climatique, la pêche INN, la criminalité transnationale et le trafic de stupéfiants en particulier, la désinformation ou la lutte contre la pandémie de Covid-19. Depuis septembre 2019, un centre pilote a été créé à Canberra, qui a permis de tester et d’identifier les limites de la fusion d’informations ouvertes, de l’analyse partagée et en temps réel des risques et menaces ainsi que de leur diffusion au profit des responsables d’agences gouvernementales et régionales pertinentes.

Une éventuelle transposition du PFC dans l’océan Indien devrait tenir compte de la nécessité de traiter de questions complémentaires de celles couvertes par le CRFIM, telles que la sécurité climatique, la désinformation, la cybersécurité, la criminalité transnationale et la sécurité sanitaire. Comme le CRFIM et le CRCO, cette nouvelle structure pourrait être adossée à la COI.

Une telle initiative nécessiterait une étude de faisabilité, comme l’Australie l’a conduite avec ses partenaires du Forum des Îles du Pacifique, qui pourrait cette fois être menée par le secrétariat général de la COI, en étroite concertation avec la France, l’Inde et l’UE notamment. Cette étude devrait notamment préciser les domaines à couvrir apportant une réelle valeur ajoutée, afin d’éviter le risque de créer un instrument intellectuellement séduisant mais en définitive peu utile ou redondant avec des travaux menés par ailleurs. L’Union européenne pourrait être intéressée par ce concept, en tant que membre observateur et premier partenaire financier et technique de la COI, et qui conduit et finance les programmes de sécurité maritime MASE et CRIMARIO, ainsi que le projet ENACT de renforcement de la lutte contre le crime organisé transnational en Afrique. Une telle initiative pourrait contribuer de façon significative à la construction d’une culture stratégique commune au niveau régional, au moins sur les questions de sécurité non traditionnelle.

La dernière piste s’inspire cette fois d’un modèle africain, celui de l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT), projet porté conjointement par la France et la Côte d’Ivoire. Cette académie repose sur trois piliers, une école interministérielle des cadres, un centre d’entraînement des unités d’intervention spéciales africaines, et un institut de recherche stratégique (IRS). C’est ce dernier pilier qui pourrait éventuellement être transposé dans l’océan Indien.

Un IRS adossé à la COI et permettant d’encourager la recherche sur les questions de sécurité non traditionnelle – notamment la sécurité environnementale et climatique – pourrait utilement contribuer à éclairer les pays de la région sur l’évolution des risques et menaces à l’échelle régionale, à mobiliser les ressources intellectuelles de la région au travers d’appels à projet, tandis qu’une gouvernance régionale de l’institut permettrait d’orienter les travaux de recherche sur les sujets intéressant directement les pays membres de la COI.

Ce pourrait être un moyen – modeste mais réaliste – pour venir en appui aux nombreux Projets de la COI relevant des questions de sécurité au sens large : ceux sur la sécurité maritime, la sécurité portuaire et la sûreté en mer, la sécurité alimentaire, la résilience et la gestion de la réponse aux catastrophes ou la sécurité sanitaire.

 

Nicolas Regaud est chercheur à l’IRSEM. Docteur en science politique, ses travaux portent notamment sur les questions stratégiques en Indo-Pacifique et la sécurité climatique.

Contact : nicolas.regaud@irsem.fr



[1] Les dix pays de l’ASEAN, Australie, Bahreïn, Bangladesh, Chine, Corée du Sud, France, Inde, Japon, Maldives, Pakistan, Sri Lanka et Turquie.