VISIO-CONFERENCE | Revenir du combat - revenir du terrain sensible
Mercredi 14 octobre 2020
"Revenir du combat - revenir du terrain sensible"
Organisée par le domaine défense et société de l’Institut de Recherche stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM)
Le mercredi 14 octobre 2020
De 9h à 18h
Argumentaire
La pratique du terrain en sciences sociales est guidée par la préoccupation centrale de l'accès aux données des chercheurs sur le terrain, et ce d'autant plus lorsqu’il est considéré comme "sensible". De la même manière, le journaliste en terrain « sensible » veille à recueillir et recouper les informations, qui lui permettront de réaliser ses reportages, le tout en toute sécurité pour lui et ses collaborateurs. Les observations, les entretiens achevés, les informations recueillies, les problématiques liées au retour peuvent être considérées comme secondaires, ses modalités pratiques mises en arrière-plan. Or, c'est aussi dans les conditions du retour du chercheur (ou du journaliste) que semblent se jouer plusieurs dimensions incontournables de la conduite et de la continuité des recherches en sciences humaines et sociales : comment contrôler la transmission des informations sensibles recueillies ? Comment s'assurer de la bonne utilisation de ces informations par les institutions de rattachement ? Comment maintenir la continuité du lien avec les enquêté.es et de leur sécurité lors de la mise en forme et la publication des données ?
Cette journée d'étude entend confronter cette première approche du retour avec celle, plus singulière, des militaires, pour en analyser les modalités pratiques et les dispositifs d'encadrement. Le retour n'est-il pas d'autant plus lourd de sens, que plane sur les soldats en opérations extérieures la possibilité de la mort au combat ? Au-delà des modalités pratiques, qui pourront certes faire l'objet de discussions, analyser le retour des militaires d'opérations doit permettre d'en questionner les représentations : sa charge émotionnelle et les espoirs placés dans un environnement social (famille, amis, travail, institutions) qu'on a laissé derrière soi, tout comme l'espoir de reprendre la vie "comme avant". Or, peut-on jamais reprendre une vie « comme avant » après avoir traversé la violence des théâtres d'opérations ?
La pratique des recherches ou de reportage en terrains militarisés - zones de conflits, états-majors, théâtres d'opérations, zones de sinistres – rend particulièrement cruciales les conditions du retour en zone de paix pour l'équilibre personnel des chercheurs ou des journalistes. Revenir, c'est aussi, bien souvent, constater la difficulté du contexte d'accueil à comprendre ce par quoi le chercheur est passé. C'est aussi devoir mettre en mots la violence et, parfois, ne pas tout dire. En ce sens, le retour implique une forme d'évaluation de la capacité du contexte à recevoir les informations recueillies, ainsi qu'un savant dosage de dissimulation et de dévoilement. Enfin, le topos du "retour au bercail" implique bien souvent des formes de dissonances cognitives, de souffrances et de solitudes qu'il faut apprendre à gérer ou à prendre en charge, et cette journée interrogera les conditions psychologiques du retour pour l'enquêteur.
Une pluralité de dispositifs accompagne chercheurs, journalistes et militaires dans le processus de retour, et notamment les formes institutionnelles de l'objectivation d'une expérience sensible. Ces dispositifs, qui vont du Retour d’Expérience (RETEX) pour les militaires à l'article de journal pour le journaliste, en passant par le compte rendu de terrain ou l'article scientifique pour le chercheur ont notamment pour rôle de mettre en forme l'expérience sensible et opérationnelle pour la transmettre et produire des formes de réflexivités. Nous faisons l'hypothèse que ces dispositifs représentent des formes d'objectivation collectives et stabilisées du terrain. Il en va de la possibilité de communiquer une expérience souvent difficile à traduire pour les personnes au-delà de cercles d'initiés et de la réutilisation des expériences accumulées. Or, dans le cas du chercheur comme dans celui du journaliste ou du militaire en opération, ces dispositifs institutionnels ne sont pas construits selon les mêmes procédés et ne jouent pas les mêmes rôles. Il est important d'en déconstruire les modes de production pour en comprendre les différentes fonctions. Ce premier temps permet par ailleurs de poser par la suite la question des formes d'écritures alternatives de l'expérience de terrain violente, et notamment le recours à la littérature pour rendre compte de la violence.
Enfin et peut-être paradoxalement, s'interroger sur le "retour" doit aussi amener à questionner "ceux qui restent". Qui sont les individus que les chercheurs, journalistes et militaires laissent derrière eux, et quelles formes de redevabilité cela crée-t-il dans la relation aux enquêtés ou aux collaborateurs ? Ce dernier temps de la réflexion voudrait interroger les manières de faire perdurer les liens et les contacts établis sur le terrain ou de s’accommoder de leur disparition. Il permettra aussi de s'interroger sur la mise en sécurité des sources et des alliés dans la continuité du travail futur. Cette journée d'étude entend donc interroger ce que "revenir" signifie, tant au niveau des conditions de production des savoirs sur la guerre que dans l’expérience concrète du terrain vécue par les chercheur.es, les journalistes et les militaires.
Programme
La journée d’étude en ligne est organisée en quatre tables rondes précédées par une introduction et s’achevant par une synthèse générale.
Introduction (9h)
Mot d’accueil- Anne Muxel (directrice du domaine défense et société de l’IRSEM)
Présentation de la journée – Jean-Baptiste Jeangène Vilmer(directeur de l’IRSEM)
Table ronde 1 (9h30-11h) - Les chercheurs et journalistes face au retour d'un terrain sensible / Discutant : colonel (er) Michel Goya.
Cette première table ronde interrogera le retour des chercheurs ou des journalistes d’un terrain dit « sensible ». Il sera donc d’abord question de l’expérience du retour lorsque les chercheurs ou les journalistes sont confrontés à des formes de violences : comment revient-on à la vie quotidienne d’abord, mais aussi comment passer d'une expérience sensible et individuelle à l'objectivation d'un savoir, qui relève des formes attendues de mise en forme du discours par les institutions scientifiques ? Autrement dit, quelles sont les formes d’institutionnalisation de la connaissance et quelles sont les formes de réflexivité qui président à ce travail de mise en forme ? Enfin, qu’est-ce qui disparait de l’expérience de la violence lorsque vient le moment de la transmettre et de la diffuser, et qu’en est-il de ce qui ne peut pas être dit, soit du point de vue des chercheurs, soit du point de vue de l’institution ?
Intervenants :
Anne-Laure Mahé (Chercheure IRSEM)
Christian Ingrao (Chercheur CNRS / CESPRA EHESS)
Jean-Paul Mari (journaliste grand reporter)
Table ronde 2 (11h15-12h45) - Les militaires face au retour du combat / Discutante : Camille Boutron (IRSEM).
Cette deuxième table ronde est pensée pour fonctionner comme miroir de la première : en interrogeant les conditions du retour du combat pour les militaires, l’idée est d’interroger à la fois l’expérience individuelle du combat, sa gestion lors du retour, et les procédés, techniques et dispositifs institutionnels qui viennent l’encadrer. Il n’est bien entendu pas question de construire des équivalences strictes avec l’expérience des chercheurs, mais plutôt de proposer des comparaisons qui mettent en lumière les spécificités militaires : comment l’expérience du combat est-elle incorporée et, comment revient-on à la vie dite « normale ». Comment l’institution militaire prend-elle en charge cette expérience ?
Intervenants :
Camille Trotoux (Militaire, chercheure IRSEM)
Sandy Brice (Doctorante, laboratoire LERSEM, université de Montpellier 3)
Baba Alfa Oumar (Psychologue clinicien, chercheur, laboratoire INSERM 1178)
Table ronde 3 (14h-15h30). Réception, instrumentalisation, diffusion de la prise de parole sur les contextes militarisés / Discutant : Christophe Lafaye (IRSEM).
Cette troisième table ronde propose d’interroger les formes de restitution du travail de terrain en zone de conflit, en prenant à la fois pour objet le discours journalistique et le discours militaire. Ce croisement doit permettre de poser une question centrale : qui sont les dépositaires de l'expérience de la violence et quelles sont les spécificités de leurs discours ? Tout d’abord, qu’en est-il de la réception de la prise de parole militaire sur l’expérience combattante et les conditions d’emploi des forces armées ? Qu’est-ce que la confrontation entre la réalité de la guerre et ce que l'institution est prête à intégrer en termes de retours de terrain implique ? Ensuite, quels sont les dispositifs par lesquels les militaires peuvent produire une parole publique sur l’expérience combattante, et comment cette parole est-elle diffusée et reçue ? Enfin, comment cette parole entre-t-elle en résonnance avec l’expérience journalistique du terrain militarisé, et comment la mise en forme du discours vient-elle enrichir ou contredire des prises de paroles militaires ?
Intervenants :
Jacques Manet (Général 2S, ancien chef de corps de 6e REG durant la guerre du Golfe)
Claire Billet (Journaliste grand reporter)
Benedicte Chéron (Chercheure, SIRICE Paris Sorbonne / IESD Lyon 3)
Table ronde 4 (15h45-17h15) - Ceux qu'on laisse - ceux qui restent / Discutant : Florian Opillard (IRSEM).
Cette dernière table ronde propose d’interroger le sujet du « retour » en creux, c’est-à-dire en analysant le sort de celles et ceux « qui restent ». Comment garde-t-on un lien avec les personnes qui, elles, n’ont pas pu partir du terrain ? Quelle position éthique adopter face aux transactions et aux formes de redevabilité que le terrain crée avec les enquêtés, les civils, les traducteurs, les fixeurs, les amis, les amants ? Cette table rond propose de considérer qu’à la fois dans l’expérience militaire, dans l’expérience de chercheur et dans celle de journaliste sont créées des formes d’obligations éthiques, et qu’il s’agit de les étudier pour les obligations réciproques et les dilemmes qu’elles créent.
Intervenants :
Camille Boutron (Chercheure IRSEM)
Quentin Müller (Journaliste grand reporter)
Romain Huet (Chercheur, laboratoire Prefics (EA 3207), université de Rennes 2)
Synthèse des travaux et conclusion (17h15) - Anne Muxel (directrice du domaine défense et société de l’IRSEM).
Modalités de participation:
Inscription obligatoire par courriel (courriel). Il est possible de s’inscrire pour la totalité de la journée ou pour une ou des tables rondes ou moments de la journée d’étude en ligne. Les liens permettant de se connecter via l’application de retransmission par Internet ainsi que les horaires précis seront communiqués aux inscrits.
Comité scientifique:
Anne Muxel, directrice du domaine défense et société de l’IRSEM
Camille Boutron, chercheuse du domaine défense et société de l’IRSEM
Christophe Lafaye, chercheur du domaine défense et société de l’IRSEM
Léa Michelis, doctorante au sein du domaine défense et société de l’IRSEM
Florian Opillard, chercheur du domaine défense et société de l’IRSEM
Camille Trotoux, chercheuse du domaine défense et société de l’IRSEM
Equipe technique:
Dorian Léger, chargé de communication à l’IRSEM
Mathilde Wautier, IRSEM
Date
Mercredi 14 octobre 2020 de 09h à 18h
Lieu
Paris (école militaire)
Retransmission sur Internet.
Pour toute information
E-mail : communication@irsem.fr
Numéro de téléphone : 01 44 42 48 51