Télécharger la brève stratégique n° 48 - 2022
XXe Congrès du Parti communiste chinois : quelle communication sur sa performance économique ?
Camille Brugier et Omowumi Alao
Alors que la Chine connaît un essoufflement économique majeur, le Quotidien du peuple (人民日报), le principal journal du parti communiste, en parle peu. Il valide la politique zéro Covid et met l’accent sur les investissements dans les infrastructures comme levier essentiel de croissance, signant la fin des spéculations sur un changement de cap économique dans le pays.
La Chine est empêtrée dans une crise économique de grande ampleur : toutes les projections du PIB donnent une croissance bien en deçà des 5,5 % annoncés en début d’année et la banque de Chine prévoit même une croissance de seulement 3,5 % pour 2022. La jeunesse éduquée chinoise est en proie au chômage, le pays est également secoué par une crise immobilière sans précédent. Malgré des tentatives récentes d’ajustement (soutien aux promoteurs, emprunts à taux réduit, etc.), la situation économique ne semble pas s’améliorer. En effet, la politique dite de « zéro Covid » qui double la politique économique chinoise a un impact négatif à la fois sur la consommation des ménages et les exportations, et par conséquent sur la confiance des différents acteurs économiques.
Or la politique économique étant un pilier majeur de la légitimité du Parti communiste chinois (PCC), le soutien au régime en place est fortement corrélé à l’amélioration du bien-être matériel d’une génération à l’autre. Tandis que Xi Jinping vient d’être reconduit pour un troisième mandat au XXe Congrès du PCC (16-22 octobre 2022), examinons comment le Quotidien du peuple (QDP), journal du Parti très lu par la population, traite des résultats économiques de Xi Jinping entre le 1er septembre et le 12 octobre 2022 et comment le Parti communique sur une économie en berne alors que sa légitimité repose sur de bons résultats dans ce domaine.
Pas de nouvelle, bonne nouvelle : dans un premier temps, les unes du QDP traitent peu de questions économiques sur la période étudiée et se focalisent plutôt sur les éléments factuels liés aux déplacements de Xi ou de membres hauts placés du Parti communiste chinois (comme par exemple celui de Li Zhanshu le 11 septembre en Russie). Les quelques articles consacrés à ce sujet montrent des réussites économiques locales ou sectorielles très spécifiques (l’industrie des matières premières, le 6 septembre ; les ventes automobiles, le 11 septembre), ils ne mentionnent en somme que des secteurs particuliers qui se portent bien. Afin d’éviter de parler des mauvais résultats récents, les journalistes publient des moyennes établies sur la dernière décennie.
Le seul article de fond en une (29 septembre) détaille les mesures à venir pour soutenir une « croissance stable » : relancer la consommation des ménages (prêts, prise en charge d’une partie des dépenses locales visant à améliorer la couverture sociale), stabiliser les chaînes de production pour favoriser les exportations et continuer les investissements publics dans les infrastructures. À l’exception des mesures concernant la couverture sociale, l’ensemble des mesures citées sont déjà mises en place aujourd’hui – avec peu de succès.
Quelle croissance attendre après le XXe Congrès ? La croissance chinoise dépend de trois leviers essentiels : la consommation, les exportations et les investissements. Faire de la consommation le premier contributeur à la croissance est un objectif de longue date. Xi Jinping a réussi dans le cadre de son premier mandat à faire passer la part de la consommation privée de 34 à 38 %. À titre de comparaison, en 2021, la part de la consommation privée était de 53 % dans la croissance française et de 67 % pour les États-Unis. Cependant, depuis 2016, la part de la consommation privée dans la croissance chinoise stagne. La population peine en effet à se départir de « l’épargne de précaution ». Le système de protection sociale étant minimaliste, les ménages doivent assumer l’essentiel de leurs frais de santé, les frais d’éducation de leurs enfants, mais également de retraite de leurs parents – d’où le recours massif à l’épargne. Par ailleurs, le système financier chinois n’étant que partiellement libéralisé, la seule option pour faire fructifier son épargne est d’investir dans l’immobilier, ce qui explique l’impact très fort de la crise de l’immobilier sur la consommation des ménages, entraînant par conséquent un risque important de mécontentement au sein de la population.
Les exportations chinoises, source importante de croissance (20 % en 2021), sont potentiellement sujettes aux sanctions extérieures. Elles sont donc considérées par le gouvernement chinois comme volatiles et risquées, avec pour conséquence d’augmenter la nécessité de recourir à la consommation privée comme levier. Pékin mène cette politique tout en cherchant à maintenir une chaîne d’approvisionnement constante des marchés d’importance, dont font partie les États-Unis et l’Union européenne, afin d’éviter qu’ils aillent se fournir ailleurs.
La politique zéro Covid était-elle un choix économique ? Récemment, la crise de la Covid-19 et ses confinements répétés et imprévisibles ont aggravé la tendance à l’épargne de précaution, les ménages pouvant se retrouver sans aucun revenu du jour au lendemain. Certaines tendances en vogue sur les réseaux sociaux expliquent ainsi « comment moins consommer », allant à l’encontre des objectifs gouvernementaux en termes de consommation. Les confinements ont également eu un impact fort sur les exportations chinoises et sur la confiance des États dépendant de la Chine comme fournisseur.
Malgré la tension palpable au sein de la population, la presse chinoise ne formule aucun aveu d’échec. Force est de constater que depuis deux mois, l’épidémie est très peu mentionnée dans le Quotidien du peuple. Lorsqu’elle l’est, à l’occasion des vacances nationales entraînant de forts mouvements de population, la politique en place n’est pas discutée. Au contraire, les localités sont appelées à suivre strictement la neuvième édition du plan de prévention et de contrôle (traçage, dépistage, confinement).
Un article du QDP datant du 5 octobre estime même que les mesures appliquées en Chine sont les plus efficaces en termes sanitaires et économiques pour une population de cette importance, pointant du doigt au passage « certains pays étrangers ayant choisi de “se coucher” face à l’épidémie ».
Le 8 octobre, dans un article similaire, le QDP indique que ce n’est qu’en prenant des mesures de prévention et de contrôle que le pays pourra minimiser l'impact de la pandémie sur le développement économique et la vie de ses ressortissants. Dans une interview publiée le 12 octobre, Liang Wannian, un des experts en charge de la politique zéro Covid, reconnaît l’incidence de la pandémie sur plusieurs domaines, dont l’économie, mais, selon lui, cette politique suivie reste la bonne bien que, pour des raisons de sécurité sanitaire, il ait fallu « prendre un chemin plus rude ».
Faut-il conclure qu’il n’y a pas de changement de stratégie en perspective ? La Chine fait face à la fois au risque sanitaire d’une ouverture même progressive, sa population étant insuffisamment vaccinée, et aux impératifs économiques de réouverture. Pour le PCC, au-delà d’être la solution économique la plus efficace, la politique de zéro Covid demeure actuellement la plus pertinente et la plus adaptée aux conditions locales.
Les investissements sont un instrument majeur de soutien à la croissance. En matière d’économie, le QDP met surtout en avant les investissements publics dans les infrastructures (projets de construction en une les 7, 12 et 20 septembre). La rubrique quasi quotidienne « Bienvenue dans le XXe Congrès », qui donne la parole à des acteurs privés et publics importants pour présenter des projets, met elle aussi en avant des investissements d’envergure du gouvernement chinois. Or, cet outil ne semble plus suffisant pour rétablir la croissance à lui tout seul. Même si les résultats économiques récents de la Chine nécessitent une nouvelle approche, le QDP et, à travers lui, le Parti communiste chinois semblent préférer un instrument économique traditionnel de la République populaire de Chine : les investissements, qui montrent pourtant une efficacité très limitée. Face au mécontentement qui gronde, cela suffira-t-il ?
Dans son discours d’ouverture au XXe Congrès, le président Xi Jinping dit souhaiter un développement de « haute qualité », favorisant une croissance certes plus faible mais axée sur la demande intérieure. Cet élément rhétorique souligne à nouveau l’objectif chinois de longue date d’avoir davantage recours à la consommation comme levier de croissance. Cependant, en mettant en avant les investissements dans les infrastructures comme outil économique de premier choix, le gouvernement chinois ne semble pas prêt à mettre en place les instruments nécessaires à ce tournant économique annoncé.